Bilal et les fantômes du Louvre

Un objet hanté et le reflet de son fantôme. Peinture Enki Bilal. Photos VA.

Imaginez. Vous visitez le Louvre, et par une étrange facétie, vous décidez de ne pas vous rendre à la sortie, l’heure de la fin des visites venue. Vous vous laissez enfermer déjouant la vigilance des gardiens. La nuit tombe et bientôt des craquements se font entendre, des lueurs apparaissent ça et là. Les toiles et les sculptures semblent s’animer. Les fantômes du Louvre se réveillent ! Voici l’aventure qui est (presque) arrivée à Enki Bilal, célèbre créateur de bandes dessinées. Il a eu la chance de rencontrer 23 fantômes du Louvre. Il a pu dresser leur portrait et raconter leur histoire dans une exposition présentée jusqu’au 18 mars dans la Salle des Sept-Cheminées du Musée.

Courageux, mais loin d’être téméraire, vous ne souhaitez pas affronter les mystères nocturnes du Louvre et préférez découvrir les œuvres du dessinateur. Comme souvent pour les expositions temporaires du Louvre, il vous faudra avoir une âme d’explorateur pour accéder au lieu-dit. Traversant les longs couloirs de l’aile Sully, vous suivez la signalétique qui vous conduit à un ascenseur près des toilettes. Montée directe au deuxième étage, pas moyen de s’arrêter au premier. Vous redescendez les marches interminables d’un large escalier de pierre, traversez la salle des bronzes antiques, l’antichambre du roi, et vous voilà enfin dans la salle des Sept-Cheminées. Une pièce haute et carrée où il ne reste pas trace visible des cheminées, toutes détruites pendant la Révolution. Peut-être leur fantôme est-il tapi derrière les classiques peintures de l’École française qui ornent les murs ?

La première impression de l’exposition est décevante, les toiles de Bilal semblent perdues dans la très haute salle. Mais un fantôme doit se découvrir. Il ne se laisse pas observer par le premier venu. En s’approchant, les visages se révèlent au visiteur, tel un tirage photographique dans son bain chimique. L’atmosphère fantasmagorique chère à l’auteur de La foire aux immortels distille son poison dans chaque portrait. Glaçant !

Enki Bilal, "Melencolia Hrasny", acrylique et rehauts de pastel sur impression photographique

Pour réaliser cette série de peintures, Enki Bilal a eu la chance de pouvoir arpenter le Musée aux heures de fermeture pendant plusieurs semaines. Il y a pris près de 400 photographies, optant souvent pour un point de vue décalé. Il a sélectionné une vingtaine de clichés qu’il a fait tirer sur toile, en les désaturant légèrement. Sur ces tirages, sans droit à l’erreur, il a peint à l’acrylique avec des rehauts de pastel le portrait du fantôme qui hante l’œuvre ou le lieu photographiés. Ces peintures sont exposées en compagnie d’un long cartel qui décrit la biographie du fantôme. Les destins sont presque toujours tragiques, voire tragicomiques.

Ainsi les jumeaux Regodesebes hantent le portrait de la Comtesse del Carpio peint par Francisco de Goya. La diligence pressée de la belle aristocrate les a fauchés en plein Madrid alors qu’elle se rendait à une séance de pause chez le maître. Quelques mois plus tard, elle serait morte d’un cancer provoqué par le remords. Melencolia Hrasny fut l’amoureuse secrète d’Albrecht Dürer. Ils échappèrent tous les deux à la noyade lorsqu’ils étaient enfants. Adulte, le peintre préféra en épouser une autre. De chagrin, la jeune femme se réfugia dans la solitude. Mais son visage hantera toujours Dürer. Le palefrenier Lantelme Fouache violait sans vergogne sa fille Beatrix. Un jour, elle en a eu assez et tué son père en le poussant de cheval. Le jour de l’enterrement, un jeune peintre, Eugène Delacroix, croise la parricide. Ému par sa douleur, il la croque dans un portrait éploré qui donnera plus tard une huile, « Jeune orpheline au cimetière »… Arrêtez-vous bien pour lire chaque histoire. Les fantômes s’incarnent alors et vous entraînent dans une balade originale à travers les couloirs du Louvre. Vous oubliez le temps qui passe…

Maintenant que vous avez quitté l’exposition, vous êtes devenu un chasseur de fantôme aguerri. Puis-je vous demander quel est votre ectoplasme favori, quelle œuvre hante-t-il ? J’attends vos témoignages avec impatience !

Enki Bilal, "Les jumeaux Regodesebes", acrylique et pastel sur impression photographique.

Informations pratiques
Du 20 décembre 2012 au 18 mars 2013
Aile Sully, 1er étage, salle des Sept-Cheminées
Tous les jours de 9h à 18h, sauf le mardi.
Nocturnes, mercredi et vendredi jusqu’à 21h45.
Accès avec le billet d’entrée au musée : 11 €

Enki Bilal a édité un album « Les fantômes du Louvre » aux Éditions Futuropolis.

2 réponses

  1. une expérience intéressante

    • Valérie Auriel dit :

      Avec un appareil-photo, il est plus facile de saisir les fantômes…