Zeng Fanzhi à Paris

Il est le peintre chinois contemporain le plus côté du marché. L’une de ses toiles vient de se vendre 17 millions d’euros aux enchères. Ce n’est pas ce record financier qui fait de Zeng Fanzhi un artiste majeur, mais sa volonté de toujours se renouveler, sans avoir peur de désorienter son public. L’artiste ne décline pas à l’infini les mêmes gimmicks picturaux comme bien d’autres. Sa première grande rétrospective organisée au Musée d’art moderne de Paris permet de juger de sa créativité, grâce à un parcours à rebours dans le temps. La première salle présente les œuvres les plus récentes, la dernière des travaux d’étudiant. Zeng Fanzhi a commencé à représenter des scènes assez expressionnistes inspirées de son univers quotidien. Il a peint des hôpitaux où malades et médecins se côtoient avec crudité, puis les coulisses d’une usine agroalimentaire, où les ouvriers prennent le frais sur des carcasses de viande congelée…

Zeng Fanzhi

Zeng Fanzhi Hare, 2012 400 x 400 cm (en 2 panneaux) Pinault Collection © Zeng Fanzhi studio

La deuxième grande période, celle sans doute qui lui a permis d’accéder à la notoriété, est celle des masques, proche cette fois du Pop art. L’univers rappelle celui d’un autre artiste chinois, Yue Minjun avec ses autoportraits rigolards. Ici, les personnages portent des masques exprimant différentes émotions. Mais quel est leur ressenti réel ? Sont-ils humains, sont-ils robots ? Le spectateur éprouve une inquiétude latente, un malaise dus au décalage entre ce qui lui est montré et ce que lui est caché. Depuis quelques années, Zeng Fanzhi a abandonné cette stylisation graphique pour un réalisme onirique. Les toiles ont désormais des dimensions de plus en plus d’importantes. L’artiste entraîne le regardeur dans un entrelacs végétal, le plongeant au cœur de ronciers touffus. Les figures humaines ont disparu, elles laissent place à des animaux sauvages. Un lièvre gigantesque est un hommage à celui peint à l’aquarelle par Albrecht Dürer, quelques siècles plus tôt. Mais le changement d’échelle rend le pacifique herbivore bien menaçant.

Pour peindre ces éléments végétaux à la limite de l’abstraction, l’artiste a inventé une technique originale. Il tient deux pinceaux dans la main droite, en même temps. L’un est saisi entre le pouce, l’index et le médian, l’autre entre le médian et l’annulaire. Le premier est conduit par l’idée que Zeng Fanzhi souhaite donner à sa peinture. Le second, agissant dans une direction opposée, est laissé libre de ses mouvements. Les deux outils jouent ainsi une danse désaccordée. Maîtrise contre lâcher-prise. Précision contre imperfection.

Cette dernière série peinte par Zeng Fanzhi est superbe. Le spectateur se noit dans leur format gigantesque, éprouvant physiquement la sensation d’enfermement, la perte de repère. En même temps, leurs couleurs intenses, leurs circonvolutions aériennes et hypnotiques l’entrainent dans une sorte de rêve éveillé.

Pour finir, voici un court extrait d’un entretien de l’artiste avec Fabrice Hergott, directeur du Musée d’Art moderne de la ville de Paris

Pourriez-vous me dire ce que vous attendez d’une œuvre d’art ?
Une œuvre doit être comprise par le public. Elle doit être capable de communiquer, elle doit être compréhensible, toucher le public au fond de lui-même. Elle doit avoir des points communs avec les émotions. Il lui faut de la beauté, du contenu et de l’esprit.

Est-ce que cette beauté change selon les époques ?
Oui, la beauté change et cela dépend aussi de l’âge du spectateur. Quand j’étais jeune, à l’âge où l’on est rebelle, la beauté était liée à la passion, à la douleur. Aujourd’hui la beauté vient avec la paix, la cohérence.

Infos pratiques

Zeng Fanzhi. Jusqu’au 16 février 2014. Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président Wilson 75116 Paris. www.mam.paris.fr

œuvre en-tête :
Zeng Fanzhi, Mask Series No.6, 1996, 200 x 360 cm (en 2 panneaux) Collection privée © Zeng Fanzhi studio